L’art a toujours été à l’extérieur et, depuis longtemps dans la rue. Dès la Grèce antique, des fêtes étaient données en l’honneur du dieu Dionysos. Puis au Moyen-âge, le théâtre de rue a fait son apparition avec les bouffons, saltimbanques, montreurs de bêtes curieuses, jongleurs, ou conteurs ambulants.
Aujourd’hui, quel que soit le nom qu’on lui attribue: art public, art urbain, art contextuel, ou art de la rue, il semble important de s’intéresser à ce phénomène, car chacun d’entre nous, passant ou spectateur y participe.
Quel citadin, promeneur ou même touriste n’a jamais rencontré d’œuvre urbaine sur son parcours ? D’un regard furtif, le passant peut capter le corps blanc en mouvement, que Jérôme Mesnager aura peint sur les murs, déchiffrer un collage d’Ernest Pignon-Ernest qui détournerait une affiche publicitaire, être face au pochoir noir de l’homme au chapeau, comme une ombre chinoise, signé par Nemo, ou encore lire l’inscription “Amour” en blanc soulignée, posée par un artiste anonyme ici et là, au sol, aux murs.
Déposées ici et là, les artistes qui en sont les auteurs, saupoudrent la ville de leurs empreintes, afin que l’ensemble de la surface soit tatoué par l’encre de leurs interventions.
Parfois même ce passant en a rencontré sans s’en rendre compte. Ces dernières jouent du camouflage urbain et d’une attention “endormie” du passant, qui devient alors public, dès lors qu’il y pose son regard.
Si l’art s’installe dans la ville comme il semble le faire aisément (mais sauvagement) dans les grandes métropoles, pourquoi ne pas reconnaître cette demeure de l’art ? Les conséquences appellent avec elles de nombreuses interrogations d’ordre esthétique, philosophique, social, ou même institutionnel. Cette difficulté à s’accorder sur son statut théorique vient peut-être du fait de sa contemporanéité, insaisissable, mouvante, qui, pour la plus grande satisfaction des artistes, rend le terrain vierge de trop de pensée et matière encore brute pour la création.
Dans cette réflexion, figure au premier la question de cette nouvelle écriture qui fleurit un peu partout. Ponctuations de la ville, langage de l’image, signes ou sens, autant de termes qui participent au parcours graphique de la ville en mouvement, en réflexion. Ces ponctuations sont elles repères dans la ville ou bruit obstruant la communication et la fluidité? Un langage urbain est alors envisageable, créant même du récit et par là même de la vacance visuelle, face à la pollution par l’image à laquelle nous sommes soumis quotidiennement.
Pour répondre à la question posée par Daniel Buren en 1998 « A force de descendre dans la rue, l’art peut-il enfin y monter ? » nous constatons que l’art urbain déplace en ce moment même la création vers de nouveaux postes, de nouveaux territoires et de nouveaux comportements, à commencer par celui de l’artiste lui-même. En exerçant au cœur de la ville, dans la rue – territoire que la population choisit pour transmettre ses messages – l’artiste endosse parfois une responsabilité sociale. Il est temps de parler de médiation ou plutôt de remédiation de la rue et de la ville, par la montée de cet art, en posant la question : comment penser l’urbanité aujourd’hui ?
Une réflexion de l’art et du politique s’impose alors par elle-même dès lors que l’on tente d’étudier la ville. Une constatation première se dégage: l’apparat du corps politique était dans la ville, maintenant c’est à la télévision que le corps politique s’affiche, se théâtralise. En son temps, Platon a pu souhaiter voir artistes et poètes disparaître de la République. A présent, c’est l’inverse qu’il conviendrait presque d’imposer : conserver les artistes et évacuer les politiques et politiciens.
La notion de publicité (rendre public) est au cœur de cette étude, permettant d’aboutir et d’apprécier l’hypothèse d’Alain Charre et François Deck, selon laquelle l’évolution de la société, de la politique et de l’art dans la ville, dessineraient le schéma suivant: nous sommes passé de l’agora, remplacée par la place publique pour arriver aux téléviseurs. En effet, de quelle urbanité fait-on l’expérience aujourd’hui ? En quoi sommes nous encore concernés par les textes de Platon, Aristote ou Hannah Arendt, dans la mesure où le corps n’est plus impliqué dans les débats de la place publique, mais diffusée à la télévision ?
Comment éprouve t-on la ville ?
Dans la conscience du monde en mouvement, les nouvelles pratiques émergentes se traduisent par une exploration de domaines différents. La rue comme scène artistique, pourtant déjà connue par la création artistique à l’époque de l’art de la statuaire et de l’art théâtral, devient un nouveau territoire de l’expérimentation sociale et expérimentation des rapports entre individus. Les pratiques artistiques urbaines sont désormais pluridisciplinaires et se nourrissent des différences et de la complémentarité du spectateur, du lieu, des matériaux et des comportements.
L’art n’entre pas dans la rue par hasard. Il est l’écriture réfléchie des besoins quotidiens des habitants de la cité. Ce présent article aura tenté de soulever les questions qui nous concernent en tant qu’héritiers de la cité grecque, en tant que citoyen, en tant que citadin et en tant que promeneur.
Aujourd’hui, les manifestations qui ont pris leur place (publique), donnent naissance à de nouvelles structures. Profitons d’être les témoins de cette naissance et de bénéficier du recul de l’histoire pour suggérer que cette évolution donnera bien des suites importantes dans le fonctionnement de nos sociétés.
Valentine Avron
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Valentine Avron est chargée du développement de la création contemporaine et des relations institutionnelles de MoonStar, société de courtage en art contemporain spécialisée dans le conseil pour la constitution et la valorisation d’un patrimoine artistique.
Quand l’art contemporain se fait public |...
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