« Depuis le jour où j’ai entendu votre musique, je me dis sans cesse, surtout dans les mauvaises heures : Si, au moins, je pouvais entendre ce soir un peu de Wagner! »
Baudelaire aurait trouvé son bonheur à l’auditorium de Lyon, les 10 et 12 mai derniers. Pudiquement intitulé ‘La voix de Wagner’, ce spectacle présentait les deux grands mouvements wagnériens inhérents à sa conception « d’art total », à savoir le chant et la musique.
La première partie permettait de mettre en lumière la partie ‘masculine’ de l’œuvre – le chant selon l’artiste. Les Wesendonck Lieder, magistralement interprétés par Deborah Polaski, avaient de quoi laisser pantois. Le vibrato de la soprane – grisant – faisait retentir la plainte d’Isolde clôturant cette première partie musicale.
Hör ich nur
Diese Weise
Die so wundervoll
Und leise,
Wonne klagend,
alles sagend,
mild versöhnend
aus ihm tönend,
in mich dringet,
auf sich schwinget,
hold erhallend
um mich klinget*
Oserait-on parler de mise en abyme ?
Une fois l’entracte terminé, le drame du Ring allait se jouer, certes en un accéléré aphone, mais ô combien puissant. La descente au Nibelheim prenait les traits d’un certain voyage dantesque sous la baguette de Jun Märkl, alors que les adieux de Wotan à Brünnhilde, sous le même stylet, résonnaient comme un terrible chant funèbre, auquel faisait écho la Trauermarsch du Crépuscule des Dieux, survenant peu après, et ce malgré des cors un peu enroués.
C’est finalement reposé, assagi, et presque amoureux que l’on ressort de ce concert cathartique. Wagner « rend malade tout ce qu’il touche » d’après Nietzsche. Heureusement que de tels vecteurs d’épidémie existent encore !
Laurent Mathey
Ecoutez “L’or du Rhin” (Das Rheingold), extrait du “Der Ring Des Nibelungen”
Richard Wagner, Berliner Philharmoniker, dirigé par Herbert Von Karajan.
*Suis-je la seule à entendre / cette mélodie, / cette plainte / si merveilleuse / et douce, / disant tout, / réconciliant, / tirant d’elle son chant, / qui me pénètre, / s’élève, / retentit, / vibre autour de moi ?