Un blog pour l’expertise

Laurent Hache, diplômé de l’IESA et expert en mobilier et objet d’art anciens, est le fondateur du blog “Le Journal de la Curiosité“, support à la fois d’expertise en ligne et d’auto-formation sur l’authentification d’objets d’art anciens.
Intriguée, j’ai voulu en savoir plus…

Culture et Communication :
Bonjour Laurent.
Suite à tes études à l’IESA, puis à tes différents postes dans le marché de l’art, notamment pour le projet Eauctionroom de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild et dans la publicité pour les magazines spécialisés l’Oeil et le Journal des Arts, tu es actuellement Directeur du développement chez Togeth’art, cabinet en accompagnement des ressources humaines par l’art. Expert en œuvres d’art, tu lances parallèlement un blog « Le Journal de la Curiosité » Journal de la curiosite , véritable mine d’informations pour tout amateur, collectionneur ou antiquaire en ce qui concerne l’expertise en mobilier et objets d’art.

Laurent Hache :
Oui tout-à-fait.

CC :
Comment t’es venue l’idée de lancer un blog sur l’expertise en objet d’art ? Quel constat as-tu fait de l’expertise en objet d’art sur la toile ?

LH :

En dehors de la toile, il est difficile de trouver un expert approprié. Il existe peu d’informations sur le sujet. On peut effectivement faire appel à un antiquaire qui sera peut-être un expert intéressé à un certain niveau au prix de l’objet. Il n’est pas facile de trouver un expert via Internet ou via des annuaires.

De plus, pour accéder à la connaissance et à l’expertise, peu d’ouvrages existent, notamment sur l’estimation et la valeur des objets. Il y a certes des annuaires de cotes, ne prenant cependant pas en compte l’état du tableau, ce qui reste important dans la définition de sa valeur, ou encore les différentes restaurations d’un siège, etc.

Ce contexte m’a fait réfléchir à l’intérêt de développer sur Internet une vitrine ouverte sur le monde, ouverte à tous les usagers, à tous les amateurs d’objets anciens. Il faut savoir qu’en France, il y a environ un tiers de la population qui s’intéresse aux antiquités, objets d’art et d’occasion sur son temps de loisir, à l’occasion d’un vide-grenier, d’une brocante, d’une foire d’occasion ou d’une vente aux enchères. Les générations actuelles s’intéressent également de près à leur patrimoine et donc ont besoin d’estimer leur patrimoine. Nous sommes dans le cas d’une population vieillissante, qui s’intéresse de plus en plus à ses origines et qui est en recherche de sens. L’objet permet pour beaucoup de répondre à cette question. Il peut déjà apporter des réponses au sujet d’une certaine histoire sociale, mais également quant à l’évolution des goûts, de l’esthétique et de la stylistique. Il y a par conséquent un grand nombre de personnes potentiellement intéressées par l’estimation, population qui réalise sa propre décoration et qui collectionne, mais qui au vu du contexte off-line, ne trouve pas d’information précise, désintéressée et qui souhaiterait peut-être avoir de l’information via Internet. Il faut reconnaître qu’actuellement, lorsqu’on a une question, on va sur Google pour y chercher la réponse.

Le loisir Internet est apparu de façon prépondérante devant les médias tradionnels, il permet d’avoir une réponse plus ciblée…

CC :
Mais pas toujours fiable…

LH :
En effet. Mais la réponse est plus précise quant à la recherche d’un contact que les PagesJaunes, anciennement. Le fait de créer une telle vitrine permet à la fois de gérer un lieu d’échange de bonnes pratiques, mais également d’apporter une réponse précise, alliée à un conseil personnalisé privilégiant la simplicité et la confidentialité. Cela devient donc un service pratique.

De plus, quand on souhaite faire expertiser son objet. Il faut le prendre, l’embaler et se déplacer éventuellement à la Maison de vente comme à l’Hôtel Drouot pour avoir une estimation de son objet. Cela demande beaucoup de déplacement, parfois beaucoup de temps. Enfin, l’avis peut être parfois intéressé au vu de la valeur de l’objet et son rachat potentiel lors d’une journée de vente. Car il faut reconnaître que le but d’une maison aux enchères est de faire une estimation pour récupérer l’objet pour la vente.
Mais aujourd’hui, grâce à Internet et un peu à l’idée de ce blog, il devient possible de ne faire que des photos numériques de l’objet, les accompagner d’un descriptif complet et exhaustif et avoir grâce au Journal de la Curiosité, une réponse rapide, précise, basée sur un échange, un dialogue avec du conseil. Il peut en effet y avoir une réflexion patrimoniale comme « Je vous conseille de vendre ou de ne pas vendre en fonction du marché et du contexte de la personne ». Enfin, il est possible de faire tout ceci de façon anonyme. C’est donc fait en toute discrétion, avec le plus de sérieux et d’échanges possibles.
Il ne faut pas oublier que l’art est une valeur de placement. On peut être amoureux des émotions que vont nous donner un artiste ou un artisan, cependant puisque nous avons tous une culture du Beau, nous chercherons à améliorer et à enrichir notre collection à un moment ou à un autre. Pour l’améliorer, il va nous falloir faire de l’échange, et pour faire de l’échange, il va y avoir négociation ou placement.

CC :
As-tu déjà eu une expérience similaire à celle du Journal de la Curiosité ?

LH :
J’avais déjà fait des tests avec un autre blog, oeuvredart.canalblog.com, où j’essayais de voir justement une première fois si publier régulièrement sur le domaine de l’art et de l’expertise, du vrai et du faux pouvait avoir un intérêt. J’ai constaté suite à un bon référencement, peut-être lié aux mots clefs comme « estimation d’une sculpture animalière », que je recevais quotidiennement des demandes d’estimation. Un besoin, que je n’avais pas pris en compte au départ, est apparu. J’avais en effet développé ce site au départ pour à la fois mieux sonder le marché, développer mon réseau, une manière d’organiser mes idées et de m’ouvrir aux autres. Suite à l’identification de ce besoin, j’ai souhaité passer à une autre forme de blog, plus technologique, sans publicité, avec un nom de domaine qui lui est propre.
J’ai pensé à l’outil blog parce que je ne suis pas un expert en informatique, je pratique très mal l’html et préférais passer directement par une interface pour écrire mes articles. Après, l’outil blog est perpétuellement en évolution, notamment avec l’apparition du web 2.0. Il devient donc de plus en plus possible d’intégrer du contenu multimédia, de développer des discussions via des forums qui correspondent très bien aux objectifs fixés par le marché : créer de l’échange, créer du lien.
Bref, ce blog m’a permis à la fois d’allier marché de l’art et technicité web ainsi que développer mon réseau. L’audience a en effet été multipliée par 100 !
Mais actuellement, peut se poser la question de la modélisation de la relation et peut-être la nécessité de créer un système d’échanges propre plus simple, qui m’imposerait peut-être de développer un site Internet.

CC :
En quoi consisterait ce site Internet ?

LH :
Il présenterait un forum d’échanges, pouvant intéresser les amateurs et les collectionneurs. Les associations spécialisées pourraient également y avoir leur place, qu’elles concernent le collectionneur d’étiquettes de fromage ou un club d’investisseurs. Cette plateforme serait donc beaucoup plus réactive et plus dynamique, à la fois notamment par son contenu et le paiement sécurisé pour l’estimation. Une estimation gratuite, au-delà du fait qu’elle est accessible à tous, le devient également pour n’importe qui et n’importe quoi. L’estimation gratuite engage et responsabilise moins le demandeur que si elle devenait payante. Ainsi le fait de faire payer l’estimation permet de rendre la relation un peu plus sérieuse avec le demandeur, d’autant plus que le tarif demandé ne sera pas élevé. Il permettra de constituer un frein vis-à-vis des demandes saugrenues sans pour autant en être un à l’égard des demandes d’estimation sérieuses. Ce montant ne servira qu’à financer le développement et le fonctionnement du site, notamment l’abonnement des bandes passantes et des redirections url.
Cela permettra aussi de passer le plus de temps possible sur l’objet et de donner la meilleure estimation possible.
Cependant, il m’est déjà arrivé de ne pas donner d’estimation sur un objet qui m’était soumis tou simplement parce que sa valeur affective était nettement plus importante que sa valeur marchande. Afin de ne pas froisser le demandeur, je lui disais qu’il n’existait pas de marché à l’heure actuelle pour ce type d’objet. Il faut dans ce cas réussir à trouver un autre mode de communication avec la personne afin qu’elle le conserve et le transmette à sa famille.

CC :
Au-delà du constat que tu as fait sur la situation de l’expertise sur la Toile et en général, quel(s) autre(s) facteur(s) t’a(ont) convaincu de lancer ce blog ?

LH :
Il y a deux facteurs. Depuis 2002, il y a un taux d’équipement des ménages qui s’est fortement densifié. Je disais qu’un tiers des français avait pour loisir la brocante, l’antiquité et la décoration. Cela représente donc sur Internet une cible potentielle de 4 400 000 foyers, abonnés à Internet en haut débit, sur les 13 millions de foyers français branchés à Internet en haut débit. Le fait qu’une grande partie de la population française soit passée en haut débit est intéressant notamment pour l’échange de fichiers.
Deuxièmement, le commerce d’antiquités et d’objets d’art s’est accru de façon importante depuis notamment trois ans avec le succès en France d’Ebay. Sur Ebay, il y a plus de 50 000 objets répertoriés dans la catégorie Art et Antiquités. Si on estime qu’Ebay n’est pas simplement un site destiné à des professionnels et que l’on considère qu’un objet sur dix provient d’un particulier qui veut le vendre à son juste prix, l’estimation sur Internet concerne donc potentiellement 5 000 vendeurs sur Ebay ayant besoin quotidiennement d’un avis éclairé.

De plus, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l’estimation et l’expertise d’objets d’art, bien que ne correspondant pas exactement aux mêmes règles que l’estimation et l’expertise françaises , sont déjà bien organisées sur Internet.

CC :
Est-ce que l’expertise et l’estimation en objets d’art sur Internet apporte quelque chose de plus au demandeur par rapport à une expertise ou une estimation classiques ?

LH :
Un expert utilise essentiellement la vue et un peu le toucher, l’odorat et l’ouïe pour son estimation et son authentification. Une grande partie de ce travail repose donc sur une analyse visuelle. Il faut donc des images bien documentées.
Sur Internet, on peut donc créer un échange avec le demandeur pour mieux connaître son objet. Par exemple, le demandeur n’a pas forcément photographié le bon endroit de son objet, celui qui va instruire et qui va permettre de préciser l’époque. Il peut être une zone de montage, d’assemblage, des tressillages. On va donc demander au particulier d’apprendre à mieux connaître et à redécouvrir son objet. Il peut ainsi y avoir en quelque sorte formation du particulier à l’estimation, à l’authetification des objets anciens. Je profite en effet de cet échange pour donner au particulier les clefs et les astuces propres à l’authentification des objets.

CC :
Quand ce blog sera véritablement publié ?

LH :
Le Journal de la Curiosité est en ligne depuis deux mois. Je travaille actuellement dessus afin de faciliter l’échange avec le particulier qui a besoin d’une estimation. Dans trois mois, la relation sera plus structurée au niveau de la plateforme d’échanges.
Mais sur ce site, il n’y a et n’y aura pas que l’estimation en œuvre et objets d’art. Je tiens en effet à publier régulièrement des contenus sur le vrai et le faux, sur les particularités de certains objets, etc. J’aime assez ce côté de la transmission du savoir parallèlement à une interface de demande d’expertise. Le blog par essence est participatif et ce que je recherche avant tout sur ce blog est prendre contact avec les gens, échanger sur un domaine qui me tient à cœur, d’avoir une relation privilégiée et bien connaître mon interlocuteur. Ce blog a donc également pour mission d’échanger de l’information et de partager les expériences.

CC :
Quand ton blog sera publié, quelles seront tes actions de communication (diffusion, publicité) ?

LH :
A mon sens, le plus important pour un site pour un blog est son contenu. Il est donc essentiel pour moi de publier régulièrement sur différents thèmes.
J’ai également réfléchi à l’achat d’une campagne Google Adwords sur des termes bien spécifiques relatifs à l’estimation. Cela peut ne pas être nécessaire car en France, ce n’est pas domaine très bien organisé et donc en publiant régulièrement, il devient possible de rebondir sur de nombreux mots clefs. Egalement, un petit conseil. Pour bien réussir sur la Toile, il ne faut pas hésiter à regarder ce qui se fait et à scanner les bonnes pratiques, pour comprendre les différents mots clefs, les positionnements, à les comparer afin de mieux se définir et mieux se situer.
Il serait intéressant aussi de monter des partenariats avec des associations de consommateurs que l’on commence à voir sur Internet ou des associations plus liées au patrimoine, parfois limitées au patrimoine d’investissement boursier et pouvant s’ouvrir à la question du patrimoine mobilier, qui justement n’est pas concerné aujourd’hui par l’impôt sur la fortune. Je ne comprends donc pas pourquoi le marché de l’art n’est pas plus dynamique en France. Il y a certains tabous et certaines réticences qui mériteraient d’être dépassées.

CC :
Pour finir, quel est l’impact de tes deux blogs ?

LH :
L’analyse, notamment statistique, est essentielle pour moi. Cela permet de mieux comprendre son lectorat, son mode de fonctionnement, de connaître les moteurs de recherche les plus souvent utilisés et les thèmes les plus souvent consultés. Logiquement, je vais avoir un double développement à savoir l’enrichissement de certaines parties du site aprréciées par les visiteurs mais aussi la publication sur des thèmes parfois plus pointus et plus inhabituels de façon à faire découvrir de nouveaux aspects de l’estimation et des objets d’art aux visiteurs.
Sur l’ancien site [NDLR : oeuvresdart.canalblog.com], il y avait à peu près 200 visiteurs par jour. Il est assez facile de savoir d’où ils proviennent grâce notamment à leur adresse IP. Chose surprenante, au-delà des visiteurs francophones, le blog recevait la visite d’amércains, de chinois de Hong-Kong et d’algériens, venus notamment grâce à certains articles sur des artistes particuliers. Ainsi 20 à 30% des visiteurs provenaient hors d’Europe.
De plus, les choses sont en train de changer, j’observe des hausses hebdomadaires de 10% à 15% de la fréquentation du site selon les articles publiés et les thèmes abordés. Cela dénote donc un goût de plus en plus prononcé pour l’expertise et le marché de l’art en général.
Enfin, le blog m’a pemis d’accroître mon réseau, notamment auprès des particuliers avec qi j’échange régulièrement sur les objets d’art. Cet outil s’est finalement révélé comme un excellent moyen de travailler avec l’humain.

La gestion d’un blog demandant beaucoup de travail, j’encourage toute personne qui souhaite contribuer à se faire connaître via la boîte de dialogue. Je recevrais avec plaisir toutes les contributions sur un thème propre aux collections ou à l’esprit du site, une note de synthèse d’un mémoire sur l’expertise en objets d’art ou une réflexion aboutie et documentée sur la peinture par exemple.

CC :
Merci Laurent.

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